« Marshall, t’étais pas déjà de garde la nuit dernière ? » Insista la voix de son supérieur bien que Gael ait essayé de se faire discret. « Si mais le dr Brook s’apprête à opérer un une tumeur au cerveau dans la zone périsylvienne et.. » « Rentre chez toi Marshall. » coupa le résident. « Mais le patient sera conscient pendant l’opération… » « Rentre chez toi, c’est un ordre. » Termina le résident d’une vois plus sèche et autoritaire. Gael l’observa un court instant s’éloigner avec les autres internes autorisés à assister à l’opération. Il baissa la tête et se rendit au vestiaire. Ouvrant son casier il en sortit ses affaires et se changea lentement. Il s’assit un instant sur l’un des bancs du vestiaire, posant sa tête dans ses mains. L’opération en cours obsédait son esprit. Il n’avait pas le droit d’y assister parce qu’il avait atteins la limite d’heures de garde. Il souffla un bon coup et enfila sa veste par dessus son polo. Il quitta l’hôpital et le froid blessant son visage, il enroula son écharpe autour de son cou, enfouissant sa tête dans ses épaules. Il mit un temps fou à retrouver sa voiture. Ca lui arrivait souvent lorsqu’il faisait autant d’heures. Il rentra chez lui et s’affala dans son canapé, l’épuisement s’emparant enfin de lui. Il était 23h. Il avait été de garde la nuit dernière et n’avait pu se reposer qu’une heure dans l’après-midi dans la salle de repos. La fatigue meurtrissait son corps. Il se redressa, son paquet de cigarette sur la table. Il s’en saisit et s’alluma un clope qu’il fuma lentement, sa main frottant fortement ses yeux puis s’enfonçant dans ses cheveux. Il ne se sentait pas de dormir. Il avait l’impression qu’il devrait s’occuper ce soir. Il termina sa clope et se rendit dans la cuisine ou il but quelques gorgées de lait à la bouteille. Son regard se perdit dans le frigo ouvert, son esprit embrouillé et lui interdisant de dormir. Il soupira et claqua à peine la porte du réfrigérateur. Il reprit ses clefs de bagnole et se rendit dans le quartier de Brooklyn, au Sunny’s Bar.
Il savait pertinemment qu’il ne devrait pas, que ça ne servirait à rien, mais c’était plus fort que lui. Il n’arriverait pas à se sortir l’hôpital de la tête sans cela. Il ne se sentirait pas normal. Il entra et commanda un whisky au comptoir. Il remercia le serveur et régla la commande avant de se saisir de son verre et de se diriger vers une petite table basse dans un coin plutôt vide du bar. D’ici, il pourrait observer les autres, paraître tout à fait normal, comme un mec qui sort, même seul, et qui boit un verre avant de rentrer chez lui. Tout ce qu’il y a de plus normal. Si ce n’est peut-être la solitude.
Il sortit son portable de sa poche et envoya un message à une fille de son internat, assistant en ce moment à l’opération du cerveau. Il lui demanda de lui raconter ce qu’elle voyait, et comment ça se passait. Il reposa son portable sur la table et porta son verre à ses lèvres, en observant son fond d’écran représentant un caducée s’éteindre lentement.

Routine. Elle criait, il hurlait. Sa voix grave résonnant dans l’appartement retourné de la gamine, il gueulait à se défoncer les poumons sur la blonde. Explosant à la surface de sa peau bien plus qu’un éclat de voix, Dustin enchaîna les coups, plus ou moins bien placés. Si l’alcool, si la drogue, réduisaient son efficacité, sa masse musculaire restait aussi importante, manquant de briser les os de Taylor. Ses insultes se brisèrent, s’évanouissant dans des sanglots étouffés. La force de l’homme l’avait défigurée. Il s’en alla, ne laissant que son ombre pour les yeux rougis de la blessée. Le silence rongea l’atmosphère un instant. Il n’avait encore jamais frappé aussi fort, malgré ses fréquentes dérives. Jamais la droguée n’était restée au sol sans vraiment pouvoir se relever.
Les minutes passèrent, lui rendant peu à peu ses esprits. Connard. Elle pensait. Enflure. Elle hurlait. Ordure. Elle se leva, son corps tempêtant la douleur infligée par le brun déjà loin. Souffrance d’une junkie qui se décida d’aller la noyer, d’aller se noyer, dans les bras d’un alcool fort. Sunny’s bar. Pas loin, tranquille, Taylor ne réfléchit pas vraiment et s’y échoua, évitant les miroirs, ne voulant se rendre compte des bleus parsemant son corps à moitié nu. Elle pénétra dans le bar par automatisme, ne répondant pas aux regards et paroles des intéressés déjà trop alcoolisés. L’endroit était chaud, la vulgarité habituelle qui y régnait le rendant presque réconfortant. Elle commanda une boisson sans s’occuper de ce que ses lèvres prononçaient. La douleur ne la lâchait pas. Lancinante, elle grimpait depuis les jambes de la blonde jusqu’à sa poitrine, l’empêchant de respirer, lui donnant l’impression de mourir, doucement, un peu plus à chaque respiration. Le sol se déroba sous pieds, ou elle marcha simplement jusqu’aux toilettes, son verre dans la main.
Il y avait bien ces gestes habituels. Le vide douloureux qui la ravageait n’empêchait rien. Au contraire, décidée à oublier, à ne plus ressentir, à effacer, elle s’agenouilla face aux toilettes et sniffa une ligne tout juste dessinée. Elle pencha sa tête en arrière, s’éclipsant dans un délire total quelques secondes. Bordel. Il fallait survivre. Elle n’allait pas offrir sa vie déglinguée à un connard. Elle n’allait pas lui faire ce plaisir. Bordel. Elle frémit, quittant la petite salle humide, replongeant au milieu des tables et des chaises, des corps animés riant, parlant, buvant. Une nausée lui donna envie de faire demi-tour, elle se reprit. Un instant, juste le temps de venir s’effondrer sur une banquette moite. Son verre se posa au dernier moment sur la table, laissant la trace sonore de l’arrivée de Taylor. Avachie sur le tissu collant, la jeune mit quelques instants avant d’ouvrir les yeux et remarquer la présence de quelqu’un en face d’elle. « Et merde. ». Elle tenta un sourire, puis se rappela de la douleur qui tiraillait son visage. « Bordel. ». Ses yeux azurs se plantèrent sur la silhouette en face d’elle. Elle crut reconnaitre les traits d’un homme, et murmura alors « J’t’emprunte la place face à toi bébé, ok ? ». Pas de réponse. Elle ne voulait pas de réponse. Elle n’entendit alors pas de réponse, oubliant sa faculté d’écouter, se plongeant dans le silence de la drogue qui se diffusait dans ses veines. Délire, délire. Elle ne voulait que ça, délirer, oublier, mais son verre était vide, mais son esprit n’était pas décidé à s’échapper. Sa peau, anciennement si pâle, devenait violacée. L’alcool n’aidait pas, l’alcool anesthésiait tout juste.
Un soupir et la blonde releva la tête pour de bon. Elle plongea son regard dans celui du brun, le fixant de ses pupilles dilatées, et pria de toutes ses forces pour qu’il ne fasse que disparaître.

Le liquide ambré coulant à fréquence assez régulière dans sa gorge et le tabac s’immisçant dans ses poumons étaient le genre de choses qui avaient le don de le rassurer. Les gens normaux buvaient et fumaient. Ils sortaient aussi et venaient se frotter à tous les autres corps moites et fiévreux venu se sentir vivant une fois de plus. Il n’avait jamais était de ceux-là. C’était pourtant le comble de la normalité à en croire l’ambiance dans cette boite. Tous ces gestes déplacés, tous ces attouchements… Il avait cela en horreur. Il refusait de le faire pour se sentir normal. Sa recherche de normalité avait ses limites, celles de la chair. C’était dans son travail qu’il se sentait le mieux. Seul sauver des vies et en perdre lui permettait de se sentir véritablement vivant. L’austérité de l’hôpital était son univers. Il s’y sentait comme un poisson dans l’eau, comme une pute dans un bordel, comme une junkie dans une piscine de coke.
Une junkie. C’est ce qui se posa en face de lui avec la délicatesse d’un bulldozer. L’épave ne semblait pas l’avoir remarqué et par réflexe, il inclina la tête pour mieux discerner ses traits qu’il reconnu presque. Il l’avait déjà croisé, à une soirée, on la lui avait présenté. Elle était déjà dans cet état là l’autre fois d’ailleurs. A quelques détails prêt. Elle devait être droitière, les veines de son bras gauches portant quelques marques d’injections. Il ne pouvait véritablement les voir mais il pouvait deviner ses pupilles dilatées et son regard vide et rougit. Elle lâchait quelques mots qui n’avaient pas grande importance. Défoncée, elle l’était… Mais cette fois dans tous les sens du terme.

Il la détailla du regard et remarqua quelques belles ecchymoses sur le visage, des rougeurs sur ses bras, indiquant qu’on l’a retenu fermement et il pouvait en deviner d’autre par endroit, sur les parcelles de peau découverte de la jeune femme. Il fronça les sourcils, observant de loin chaque marque. Elle avait été battue. Il se redressa pour se pencher légèrement en avant, coudes sur ses genoux, afin de la voir de plus près. Pas de marque de strangulation. Sa pommette gauche était de loin la plus marquée. Lui aussi devait être droitier. Il attendit qu’elle prenne son verre de la main droite, le portant à ses lèvres, pour lui tendre lui, sa cigarette. Elle engagea un léger mouvement de son bras gauche pour s’en saisir et fut secouer d’une douleur atroce. Bingo. Les connards frappe les côtes chez les femmes. Il se leva légèrement pour lui mettre la clope directement entre les lèvres et se rassit dans son fauteuil.

« Vous devriez voir un médecin, vous pouvez avoir un trauma et une côte brisée peu endommager les poumons. » Fit-il avec tout le froid dont il était capable. Il porta son verre à ses lèvres.
Il garda son verre à la main, posée sur sa cuisse. « La drogue ne fait que couvrir la douleur, bientôt vous souffrirez le martyr et alors le souvenir des quelques douleurs présentes sera bien doux comparé à ce que vous endurerez. » ajouta-t-il.

Débile. Il devait être débile. Elle devait être avec un débile. L’homme la dévisageait, comme s’il découvrait en elle un spécimen étrange, disparu depuis des années. Si elle avait été dans son état normal, le brun aurait déjà été décoré d’une insulte ou d’une invitation à baiser. Il était plutôt canon, malgré cet air de perdu. Il semblait atterrir de nulle part, comme si on l’avait posé là, sans le prévenir. Taylor l’observa et soupira un peu, se rendant compte qu’elle n’était sûrement pas mieux. Boire. Le liquide froid vint brûler sa gorge, descendant douloureusement dans son organisme. Le débile lui tendit une clope. Il n’était peut-être pas si con que ça. Elle, par contre, il y avait déjà plus de doutes. Oubliant la souffrance qui lacérait son corps, la blonde essaya de tendre le bras pour attraper la cigarette, ne faisant que s’arracher un léger cri de douleur. Son corps se replia instantanément. Mauvaise idée. Bordel. Elle rageait. Une autre gorgée d’alcool pour panser ses plaies, un regard aussi perdu que blasé vers l’autre. Le garçon se pencha vers elle et glissa sa clope entre ses lèvres. S’il remonta en quelques secondes dans l’estime de la droguée, il ne garda pas longtemps cette pole position.
Seule la moitié des mots du brun arrivèrent jusqu’à son esprit embrumé. Elle n’écouta pas vraiment, déjà lassée d’un discours qu’elle aurait pu reconnaître entre mille. L’air détaché des médecins, souvent trop orgueilleux pour compatir à la quelconque peine, bien trop méprisant pour ne pas considérer la junkie autrement que comme une junkie, avait résonné, s’échappant des lèvres du pourtant jeune homme. Elle l’arrêta un peu avant la fin déjà agacée de ses mots vides de sens « La ferme. » Sa voix sonna clairement, comme si par cet énervement on venait de la sortir en quelques secondes de ses délires narcotiques. Elle tenta de plonger fixement son regard dans les yeux du garçon qui commençait à vaguement lui rappeler quelqu’un. « Je vais à l’hosto, et je leur dis quoi ? » Elle fit mine de rire, n’exécutant pas cette tâche qui prendrait vite l’allure d’un supplice corporel. « Salut par là. Ouais, on vient de m’exploser la gueule. Porter plainte ? Non, j’aime trop ça. Prise de sang ? Vaut mieux pas, tu risques de trouver de quoi crever un taureau, et rien ne sera vraiment légal. » Elle s’arrêta, finissant son verre d’une traite. « D’ailleurs, évite de regarder mes bras bébé, t’en verrais bien trop sur ce qu’il se passe là-dedans. » Elle se reposa dans le siège, réveillée d’avoir parlé. La cocaïne commençait à éveiller son corps, lui donnant une envie de bouger qu’elle se devait de contrôler pour ne pas devenir sa propre tortionnaire.
Plus lentement, elle finit la clope offerte et souffla un léger « Merci ». Ses yeux clairs parcoururent lentement le visage du brun et elle fit mine de réfléchir. « On se connait, nan ? Tu… tu m’as déjà baisée ? » Elle hésita un peu, puis lâcha, presque rassurée. « Noon, j’m’en rappellerai, hein. » L’homme n’était pourtant pas déplaisant à regarder. Etrange, détaché, il semblait dégager malgré lui quelque chose qui attirait Taylor. « Taylor. » Taylor. Il aurait pu s’en foutre, s’en aller. Elle aurait sûrement préféré, faisant taire cette partie d’elle qui secrètement désirait faire plus ample connaissance. Sa fierté lança au brun un regard lui hurlant de partir, tandis qu’au fond, une étincelle de douleur le supplier de rester. Bordel. Elle le soupira. Bordel.

Quelle déchéance… C’était tout à fait ce que Gael ne supportait plus de voir, notamment pour ceux qu’il voyait arriver à l’hôpital qui bien souvent y restaient. L’observant avec attention en tentant de faire abstraction des marques de violence meurtrissant son visage et son corps fragile, il finit par retrouver, d’où il la connaissait. Un flash d’une soirée, une autre soirée, parmi les nombreuses inutiles, avec des gens que vous n’appréciez même pas mais qui eux aussi vous donnent l’impression d’être normal. Ils vous parlent de filles, les reluquent pour vous, et vous n’avez qu’à vous contenter d’acquiescer pour qu’ils croient que vous êtes d’accord. Un simple regard sur le cul d’une petite nana et on en déduit qu’elle vous attire. C’est si facile dans un sens. Les gens ne sont pas compliqués, ils fonctionnent tous de cause à effet, sans jamais imaginer quelconque complication.
D’ailleurs tout comme les nombreux junkie qu’il avait vu arriver dans des états irrécupérable à l’hosto, les premiers mots de la jeune femme furent « la ferme ». Si prévisible. Il n’écouta pas la suite de son petit discours, il le connaissait par cœur. Certains y ajoutaient la peur qu’on les garde en cure, mais en règle général, les mêmes excuses revenaient inlassablement. Gael termina son verre d’une traite et le reposa sur la petite table entre eux.
Jusque là, elle était sans surprise. Pourtant, elle le remercia lorsqu’il lui donna sa clope. Ca ce n’était pas commun. Un silence aurait été plus attendu. Il répondit avec un sourire à peine perceptible. Il n’était pas du genre à se déformer le visage en souriant.
Il vit le serveur passer et hésita à l’appeler au passage pour recommander un whisky. Il n’était pas véritablement sur de vouloir tenir compagnie à la junkie dépravée face à lui. Il n’était pas du genre à faire dans l’épave. Il n’était même pas du genre à faire du tout.
Son portable vibra et il s’en saisit avec hâte. C’était son amie interne qui lui donnait le déroulé de l’opération. Le patient était toujours conscient, il avait perdu l’usage du langage quelques minutes ne réussissant plus à composer des mots intelligibles. La panique l’avait alors emporté un court instant avant que le Dr Brook ne quitte la fameuse zone du langage. La tumeur venait d’être extraite et ils l’avaient endormi pour le refermer. Gael lu le message, ignorant royalement la jeune femme, un léger sourire se dessinant sur son visage.
« Putain de merde… » Souffla-t-il pour lui même ébahit devant le miracle. Il rangea son portable dans sa poche et se rendit compte que la junkie lui avait parlé. Il releva la tête.

« Oh pardon euh… Non enfin, on s’est vu à une soirée. » Répondit-il reportant son attention sur la blonde défigurée avant de faire signe au serveur et de lui commander un autre verre. La réussite de l’opération lui donnait des ailes. Elle se présenta et se demanda s’il avait réellement oublié son prénom. Peu importait. « Gael » fit-il en retour en portant une nouvelle clope à ses lèvres.
« Je pourrais vous examiner si vous le souhaitiez. La commotion je peux rien voir sans l’aide d’un scanner mais pour les côtes je peux facilement voir si l’une d’elle risque de vous perforer un poumon à la longue. De toute façon ça se répare pas comme par magie, vous devriez porter un plastron. Ouai la ferme j’ai compris… »
Son second verre lui fut apporté et il le porta à ses lèvres.

Dernière édition par Gael A. Marshall le Mar 6 Mar - 17:51, édité 1 fois

Elle sourit. Elle ne put s’empêcher de sourire. Si la situation avait été moins douloureuse, la blonde aurait sûrement éclaté de rire. Il ne l’écoutait pas. Il l’avait passée en arrière-plan, ignorant son originalité au fond banal, sa vulgarité qu’on oubliait vite au milieu de ce bar où tout le monde était trop alcoolisé. Elle sourit, presque touchée de cette attaque qui aurait dû l’énerver. Il lisait un message, jubilant face à l'écran lumineux. Taylor avait disparu. Elle n’était plus là, plus pour lui, pendant quelques secondes. Se vexer n’était pas dans ses cordes, elle ne put que sourire. Légèrement, doucement, le regard perdu sur les fossettes du jeune, elle sourit. La scène était clairement ridicule, elle était clairement pathétique. Anyway. Elle ajouta un deuxième whisky à la commande du garçon.
A une soirée. Ils s’étaient déjà vus à une soirée. La droguée resta quelques secondes en suspens du reste du monde, heureuse d’avoir eu raison, grignotant à la raison quelques parcelles de mémoire. Gael. Elle tenterait de ne pas l’oublier. Sans surprise, elle échouerait. Il recommença son discours médical, larguant une nouvelle fois la junkie dans ses expressions aussi vaniteuses qu’incompréhensibles. La cocaïne saisit pour elle les mots les plus importants, côtes, poumons, la ferme. Elle grimaça, se retenant de rire, amusée par l’étrangeté de l’homme en face d’elle. Etait-elle mieux ? Sûrement pas. Les boissons arrivèrent, elle prit la sienne et en vida la moitié d’un coup, oubliant de respirer. Oublier. Pendant quelques précieuses secondes, la douleur disparut, et la jeune en profita pour grimper sur la table et se placer face au prénommé Gael. Posant ses jambes de chaque côté de lui, elle remonta le t-shirt qui lui servait de robe jusqu’au haut de son ventre, dévoilant la naissance de sa poitrine, ne se rappelant d’aucune notion de pudeur ou de décence. Pourtant motivée et fière de faire face à un médecin pour la première fois depuis longtemps, elle tenta de s’étirer afin d’exposer ses côtes mais s’arrêta en grimaçant. « C’est peut-être mieux si je m’allonge, non ? ». Plongée dans ses pensées délirantes, elle observa attentivement le visage du brun. Il semblait ne pas être beaucoup plus vieux qu’elle. La première idée qu’elle s’était faite de lui, celle d’un gars bizarre, semblait se confirmer dans chacun de ses gestes. Il n’était pas à sa place. Ou faisait mine de ne pas l’être. Se lançant dans des scénarios paranoïaques et sucrés, Taylor s’absenta mentalement quelques secondes, puis lâcha sans préavis, oubliant même de respirer « T’es un peu jeune pour être médecin, nan ? »
Elle garda plongés ses yeux azurs dans les prunelles de l’apprenti docteur, cherchant à voir plus qu’il ne le disait, rongée par son éternelle curiosité. Absorbée par cette observation minutieuse, la droguée ne se rendit même pas compte de l’automatisme qui la fit prendre la cigarette des lèvres du jeune pour venir la planter entre les siennes. Taylor était chez elle partout, autant interdite que désinhibée, élisant domicile dans la chaleur des rousses comme dans la bouche des bruns. Sans avoir une seule seconde le regard dans le vague, elle fixait celui sur qui elle était tombée, se nourrissant de chaque détail sur lui qu’il pouvait lui offrir, gardant le ventre fièrement à l’air, prête à être auscultée.

Comment pouvait-elle encore rire avec ses côtes brisées. Gael était en train de lui parler de perforation possible du poumon qui l’enverrait vers une mort certaine si elle n’était pas prise en charge rapidement et elle riait bêtement, défoncée et bientôt alcoolisée, si ça n’était pas encore le cas. C’était pathétique. Il l’a trouvait pathétique. Elle venait d’avaler la moitié de son whisky à peine arrivé sur la table comme si son état n’était pas encore assez critique. Il fronça légèrement les yeux en la voyant agir ainsi. Il ne se demandait même pas pourquoi, il s’en moquait, il ne la connaissait pas et n’avait absolument aucune envie de la connaître à ce moment précis. Il se disait juste que lorsqu’il n’allait pas au travail, surtout parce qu’on l’en avait empêché, le travail venait à lui. C’était assez ironique. Il avait manqué une intervention très impressionnante et se sentait pourtant à sa place dans ce bar, grâce aux côtes brisées de la jeune femme. C’était une situation des plus rassurantes, c’était son terrain à lui. Sans qu’il n’ait de répit la blonde s’installa face à lui sur la petite table qui plus tôt les séparait et souleva son haut, découvrant ainsi ses côtes et la naissance de sa poitrine. Il eut tout d’abord un mouvement de recul devant ce corps extrêmement féminin et pourtant tuméfié. Fixant un court instant la jeune femme, il finit par quitter ses yeux et s’incliner pour observer les coups. Il pouvait imaginer parfaitement comment ils avaient été portés et avec quelle puissance. Hésitant tout d’abord puis se ressaisissant en s’imaginant dans une simple salle de consultation à l’hôpital, ses mains se levèrent et vinrent se poser délicatement sur les côtes de la jeune femme. Il observa alors par le touché l’inclinaison des côtes touchées, évitant d’effleurer du regard la naissance de la poitrine de la blonde. Une côte l’inquiétait plus que les autres et il insista dessus tandis qu’il répondait à la remarque de la jeune femme.

« Je suis interne en chirurgie. » Répondit-il en levant le regard vers elle de façon très furtive, parfaitement concentré sur le corps abîmé de la blonde. Elle avait la peau très pâle et très fine, si bien que les bleus ainsi que ses os étaient parfaitement visible. Sa cigarette lui fut enlevée des lèvres pour atterrir dans celles de la blonde. « Inutile de me la prendre des lèvres, mon paquet est à disposition et je n’ai pas manqué de vous en offrir il me semble » Fit-il avant de retirer ses mains.

« Ca devrait aller, un strap vous aiderait à guérir. » Conclut l’interne. Puis légèrement géné, jetant son regard dans les environs « vous pouvez baisser votre haut maintenant. » Il se saisit de son verre pour se donner bonne consistance et en but une pleine gorgée.

Il y avait cette musique, incessante, prenante, tambourinante. Elle occupait l’esprit de Taylor, faisant danser ses commentaires mentaux à propos du brun qui avait retrouvé son air de débile. Elle se l’imaginait marginal, oublié là par une mère trop aimante qui l’avait laissé là, naïve, pensant que les courants de New-York l’emmenaient vers la gloire. Mais il ne parlait pas la langue, mais il ne savait les gestes. La droguée le voyait, assis par terre, gisant d’une vie qu’on lui a imposée. Il mourait, son corps dépourvu d’âme correspondant à sa génération.
Et puis il prit la parole, et la blonde sursauta un peu, déconcertée par son délire s’éclipsant. Il l’informa qu’il était interne en chirurgie. Elle hocha la tête, pensive, le dévisageant encore, puis décida sans un mot d’en faire son médecin attitré. Les doigts du jeune parcouraient la peau ivoire recouvrant ses côtes. Elle frémit du contact, ne sachant plus trop si la douleur était là ou pas. Il fit un commentaire sur la clope qu’elle venait de lui dérober. Il serait son médecin chiant. Ce sera toujours mieux que ceux des hôpitaux, la bouche débordée de questions et de remarques. Elle se retint de lâcher les fameux Il est gentil, vous savez, il s’énerve juste vite. / c’est la dernière fois qu’il fait ça, je le jure, je n’y retournerai plus ! – elle ne croyait pas à ce genre de mensonges. Elle savait qu’il n’était qu’une ordure, elle savait qu’elle y retournerait, avide de se faire encore baiser, accro à ses poings autant qu’au plaisir qu’il pouvait lui procurer.
Alors elle sourit simplement quand il prononça son diagnostic. Elle observa à son tour son ventre, puis remarqua que le prénommé Gael n’avait pas tardé à détourner le regard de son corps dévoilé. Elle se rhabilla, souriant légèrement, ne quittant pas des yeux le phénomène étrangement mal à l’aise face à elle. « Merci bébé. »
Ses doigts froids vinrent déposer la fin de la cigarette entre les lèvres du brun. Elle ne se lassait pas de le détailler, trouvant chaque réaction plus étonnante que la précédente. Ses mains vinrent se reposer sur son ventre, pensive, elle enchaîna « Ca se met comment ? Tu pourras pas genre… » Son regard se perdit un instant, elle le replongea rapidement dans celui du jeune « m’aider ?! ». Elle sourit très légèrement et reprit une gorgée de whisky. L’alcool commençait à se mélanger avec la cocaïne diffuse dans son sang, lui arrachant des sensations qu’elle n’aurait pas dû sentir, inhibant celles que son corps aurait dû produire. Elle désigna son verre des yeux avant de reprendre la parole : « Et si.. si ça, ça marche pas, je peux faire quoi pour la douleur ? ». Une grimace se dessina sur son visage. La blonde n’était pas décidée à bouger, ne trouvant pas la force de secouer à nouveau ce corps bien trop heurté.
Taylor, abandonnant l’autre du regard, fixa ses cuisses nues sur lesquelles des bleus semblaient se former sous ses yeux. Elle frémit à nouveau et glissa ses doigts sur sa peau, l’effleurant juste, admirant la violence de Dustin se dessiner sur elle. Il était ancré en elle, dans son corps, dans son sang qui se dispersait au-delà de ses frontières habituelles. Il ne l’avait pas ratée. Elle le détestait de la salir autant, et pourtant, dans quelques heures sa présence lui manquerait. Drogue dure à part entière, il concourrait dans les addictions de la junkie avec la cocaïne et l’alcool. « Bordel. »
Sa bouche se déforma un instant. Rapidement, la blonde porta ses mains sur son propre visage et appuya doucement sur ses pommettes, sa mâchoire, comme si elle découvrait son propre corps, se rendant en fait compte des douleurs aussi présentes à cet endroit. Ses doigts se glissèrent dans ses cheveux, elle baissa les yeux, recouverte en un instant d’un voile de culpabilité. « J’suis pas trop amochée ? Enfin, sur le visage, je veux dire, c’est pas trop… laid ? »
Elle finit rapidement son verre, puis ses prunelles bleutées se plantèrent dans celles de Gael, attendant la réponse avec une certaine inquiétude.

La blonde étrangement silencieuse tandis qu’il l’examinait finit par le remercier lorsqu’il s’écarta légèrement pour qu’elle se rhabille en lui donnant son diagnostic. Elle avait suivi son remerciement de ce surnom débile qu’elle lui donnait depuis le début. Un de ces surnoms qu’elle devait donner à tous les types qu’elle croisait. C’était pitoyable. Il hésita à relever ce détails lui déplaisant puis se reprit. Elle n’en valait pas la peine. Elle n’était qu’une foutue épave qui serait sortie de sa vie très bientôt. Sa cigarette lui fut rendue contre toute attente. Il n’imaginait pas que sa remarque puisse être entendu par une fille pareille. Elle lui demanda d’une façon presque respectueuse, c’est à dire d’une façon qui n’allait pas du tout avec sa dégaine, s’il pouvait l’aider question strap et gestion de la douleur. Il n’eut pas envie de répondre immédiatement, comme s’il sentait qu’un moment de réflexion s’imposait. Comme si elle n’attendait déjà plus de réponse, comme si elle n’en avait jamais vraiment attendue. Elle baissa son regard vers ses cuisses nues, il inclina légèrement la tête, l’observant s’observer. Que se passait-il dans la tête d’une fille lorsqu’elle prend conscience de la violence ? En redemanderait-elle ? Allait-elle le fuir autant qu’elle le pourrait au contraire ? Comprenait-elle qu’elle avait eu de la chance ?
Il avait pensé dire non, l’envoyer balader et s’enfuir aussi loin possible d’elle. Il aurait dû le faire, il le sentait. Elle était là à regarder ses ecchymoses sans état d’âme. Son visage se déforma légèrement pourtant. Et si elle se rendait compte enfin ? Il l’observa, cherchant à comprendre chaque pensée à travers ses expressions et ses gestes. Elle porta ses mains à son visage puis les enfouit dans ses cheveux avant de lui demander à quoi elle ressemblait. Qu’était-ce que cette noirceur qu’il apercevait enfin ? De la peur ? De la culpabilité ? Du dégout ? Il n’avait jamais été fin psychologue. Incapable d’être lui-même normal et sociable, il ne comprenait pas la plupart des gens.

« C’est plutôt moche à voir en effet… je pense qu'il n'y a rien de cassé. » Il fit une pause, presque compatissant. « Celui qui vous a fait ça ne devrait plus avoir le droit de vous toucher. » Finit-il avant de revenir aux choses tangibles « le strap, je peux passer à l’hôpital en chercher et vous le placer, je vous montrerais comment on le met. Pour la douleur, à moins que vous veniez à l’hôpital, je ne peux rien pour vous. » Il avait du strap chez lui. Mais il refusait de l’amener chez lui. C’était proscrit. C’était son morceau d’univers, le seul qui lui paraisse aussi glacé et austère que l’hôpital, le seul qui ne le mette pas mal à l’aise. Elle n’avait pas sa place là-bas.

Noyée. Il l’avait noyée, sous les coups, sous sa force. Il lui avait tenu la tête sous l’eau durant trop longtemps. De nombreux mois de dépendance agressive l’avaient achevée. Elle s’était vidée de son air, elle n’avait plus le courage de remonter. Elle n’avait, de toute façon, plus aucun but précis. La seule chose de certaine dans sa vie était la mort. La seule chose qu’elle savait arriver de plus en plus vite était la mort. Elle n’avait plus le temps d’être triste, plus le temps d’être blessée, si elle voulait vivre plus vite qu’elle ne mourrait. Alors tant pis s’il la frappait, tant pis s’il la tenait sous l’eau. Elle ne prendrait que le meilleur, elle ne se souviendrait que du plaisir, ignorant un maximum les offenses à son corps.
Elle oublierait la culpabilité qui rongeait son visage, ou essaierait.
L’apprenti docteur ne l’aida pas, elle frissonna, levant les yeux au ciel. Dustin lui volait tout ce qu’il lui restait, et elle ne faisait rien contre. Bientôt plus aucun homme ne voudrait la toucher. Les hommes n’aiment pas les gamines tabassées, les bleus et autres hématomes n’ont rien d’attirant. Elle se détruisait seule, le laissant la réduire en miettes. Et elle se retrouvait, seule, droguée, blessée, face à un homme qui se prétendait médecin dans un bar bondé de gens alcoolisés. « Et merde. ».
Pour la première fois, la jeune se méfia de Gaël. Elle s’était déshabillée devant lui, s’était laissée toucher, lui avait demandé de l’aide, tout cela après avoir déballé une partie de sa vie, alors qu’elle ne le connaissait aucunement. Il aurait simplement pu être un pervers tombé sur son chemin par hasard, ou n’importe quel mec ayant envie de la baiser dans un coin. Mais elle ne s’était pas posé de questions. Elle l’avait cru, en confiance dès la première seconde. Elle qui ne parlait généralement pas ou peu, elle qui ne ressentait le besoin d’exposer sa vie à quiconque, se sentait prête à tout lui offrir, en un souffle.
Elle sourit, ne l’écoutant qu’à moitié, et finit par conclure que c’était son air idiot. Comme si cette incapacité à se sociabiliser qui le rendait à ses yeux inoffensif. Elle l’observa encore, glissant son regard le long de son visage. « Il me touchera encore. ». Un léger sourire déforma ses lèvres, dans un désir d’effacer sa culpabilité et l’impression que cette constatation était une plainte. « Et ne pas avoir le droit ne l’empêchera en rien. Enfin, j’espère ».
Ses derniers mots se firent dans un souffle, son propre corps refusant cette touche d’humour qu’elle aurait voulue sûre. Déçue par la fin de la phrase du brun, Taylor enchaina : « Pas d’hôpital. Tu me laisseras souffrir le martyr, alors que le souvenir des quelques douleurs présentes sera bien doux comparé à ce que j’endurerai ? ». Son regard se planta dans le sien, s’imposant plus clairement que jamais. Ranimée par la légère utilisation de sa mémoire, dernier lambeau d’elle-même survivant aux ravages de la drogue, elle se trémoussa un peu et attrapa le verre du garçon pour en boire la fin d’une traite. Ses mains glissèrent le long de son corps fin à la recherche de poches, puis d’un sac, et elle finit par se rendre compte qu’elle n’avait rien, pas même son téléphone. Elle glissa alors ses doigts sur le visage de Gael dans le seul but de capter clairement son attention. . « Tu notes mon numéro bébé ? Pour le strap là. »
Ses yeux parcoururent une nouvelle fois le jeune, lui cherchant des défauts, grignotant encore quelques détails. D’une voix plus douce, elle poursuivit. « Merci. C’est… cool. Ouais, c’est cool de m’aider un peu. Je t’aurais bien dit « si t’as besoin de quelque chose, hésite pas », mais j’ai clairement rien à donner… Enfin on peut bien baiser, mais j’crois que ça t’intéresse pas… Et puis vu ma gueule ce soir. ». Elle rit un peu, sans trop savoir pourquoi l'idée de revoir Gael plus tard la réconfortait quelque peu.
Ses yeux se baissèrent, se plantant sur les jambes du garçon qui étaient encore entre les siennes. Elle sourit, un instant, se détachant du monde qui l’entourait dans un énième délire.

Pourquoi s’était-elle échouée comme une baleine anorexique autour de la table du jeune homme qui n’avait pas du tout besoin de ça pour se sentir vivant en ce lieu où parmi les jeunes venus s’amuser où il avait l’avantage de passer presque inaperçu. C’était chose récurrente étrangement. Chaque fois qu’il venait en ce lieu ou un lieu similaire, il se trouvait dans la position de devoir repousser les avances du beau sexe. Il ne dégageait pourtant a priori rien de bien intéressé voire de bien intéressant, cherchant plutôt tout l’inverse, à se fondre dans le moule, à se faire point dans la foule. C’était comme si inconsciemment, il avait quelque chose d’attirant. Une jeune femme lui avait un jour confié que c’était le mystère autour de lui. Il en avait été bien embêté car ce mystère était bien la seule chose contre laquelle il ne pouvait rien.
Ce soir encore, il s’était assis à une table, seul, et en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, il y avait une fille assise sur la table face à lui, dans une proximité bafouant sans ambage les limites de l’intimité. Elle lui montrait ses hématomes, toutes cuisses ouvertes devant lui. Et elle le fixait. Son regard devenait insoutenable pour le jeune homme qui détestait qu’on l’observe ainsi. Que cherchait-elle ? Il n’y avait rien à comprendre, rien à expliquer, il était ce qu’il était parce qu’il était ce qu’il était. Rien ne pouvait l’expliquer. Cherchait-elle un tic, une mimique, une expression, une tension, un regard de convoitise sur son corps meurtri ? Elle n’avait pas choisi le bon type. Celui devant elle pouvait prendre soin de son corps, d’une toute autre façon qu’en la reluquant dans sa tenue si dénudée.
J’espère… Ce mot, que venait de prononcer la jeune femme, résonna dans l’esprit du garçon tandis qu’il la fixait. Il aurait dû partir, il le savait. Elle était complétement névrosé. Elle n’avait rien d’intéressant en dehors d’un hôpital. Il ne releva pas. Il s’en moquait qu’elle aime se faire défoncer dans tous les sens du terme. Elle pouvait bien arriver les deux pieds devant à l’hôpital pour leur prochaine rencontre que ça lui ferait ni chaud ni froid. Elle était là ce soir, en face de lui, et il pouvait l’aider ponctuellement.
Elle releva, arrogante, ce qu’il lui avait asséné plus tôt concernant la souffrance qui l’étreindrait bientôt. Il sourit légèrement. « Ce n’est pas mon problème. » Fut sa seule réponse. Que s’imaginait-elle ? Qu’il était le dernier des imbéciles ? Qu’il dormirait mal cette nuit en la sachant souffrante ? Foutaises.

Il eut un mouvement de recul lorsqu’il aperçut la main de la jeune femme s’avancer vers son visage. Elle saisit son visage et il répondit à son regard insistant. Ne me touche pas. Son discours était complètement dingue, intemporel. Venait-elle vraiment de lui proposer une partie de jambes en l’air contre la disparition de ses souffrances ? C’était bien ce qu’elle venait de faire. Il serra la mâchoire lorsque le regard de la blonde se fixa sur son entre-jambe. Il se saisit alors de la main de la jeune femme qui tenait sa mâchoire tandis que son autre main pointait son index sous le menton de la blonde pour lui relever le visage vers le sien.

« J’ai une meilleure idée, tu rentres chez toi, maintenant, sans détour, tu me dis où tu vis et je viens chez toi avec ce fameux strap, je te le mets et je me tire. Si tu ne crois pas être capable de rentrer chez toi sans détour tu viens avec moi à l’hôpital, mais tu resteras dehors, je ne t’y ferais pas entrer et on ira ensuite chez toi pour te straper. » Expliqua-t-il.

Une réaction. Normale, ou presque. Voilà ce qui venait de lui tomber dessus, poussée au vent par un souffle inattendu de normalité : une réaction. L’apprenti médecin s’écartait, mesure de sécurité, aussi bien physiquement que dans ses paroles. Il avait souri, avait mis un point d’honneur à lui dire qu’il s’en foutait. Il avait réagi, la renvoyant d’où elle venait, dessinant clairement les limites entre ce qu’il ferait par conscience professionnelle et ce qu’il ne ferait tout simplement pas. L’instinct de survie avait frappé.
Taylor, simplement ranimée par une vivacité qu’elle n’attendait plus de la part de celui qu’elle commençait à trouver naïf, sourit simplement au fil de son discours. L’alcool et la drogue aidant, ne masquant déjà plus que partiellement les douleurs de son corps, elle décida de ne pas saisir l’entièreté des paroles du brun. Elle se sentait presque fière d’avoir touché un point extrême, le contact physique aillant sûrement provoqué l’explosion. Une respiration ratée lui fit penser que l’évocation de baise n’avait rien aidé non plus.
Le laissant la toucher, la droguée garda son regard plongé dans le sien. Son visage ne parut ni surpris, ni même offensé. Elle garda cet air arrogant qu’elle portait si bien. Le gamin avait retourné sa chemise, et l’horreur était de remarquer qu’il l’avait emmenée avec lui. Elle aurait dû ne plus lui faire confiance, ne plus savoir sur quel pied danser. Mais, à cet instant précis, la junkie s’en foutait. Elle sentait que quelque chose d’étrange se passait, comme s’ils s’étaient rencontrés à l’envers, et qu’elle ne pouvait plus rien y faire. Autant jouer le jeu. S’il y en avait un.
Ses doigts froids se glissèrent contre ceux du jeune qui tenaient son visage. Elle souffla entre ses lèvres formant un léger sourire : « Tu viens chez moi me straper ? Hmm, ça a pas l’air mauvais. ». La provocation était basse, il n’y avait aucune chance que ça prenne. Peu importait, elle n’avait aucune envie de le baiser ce soir-là. Le corps était endommagé, l’esprit était ailleurs. Elle se recula, puis finit par se rasseoir sur la banquette de l’autre côté de la table, comme pour offrir plus d’air au brun. Son visage se tordit un instant dans la douleur, rappelant à la gamine qu’elle n’était pas au meilleur de sa forme.
Ses doigts venant se taper sur la table à intervalle régulier, elle expulsait la musique qui envahissait son esprit comme elle le pouvait, tentant d’offrir une réponse à celui en face d’elle. Ses yeux se levèrent à nouveau sur lui. Quelque chose en elle dérailla, elle ne sut quoi, mais il était trop tard. Sa voix, aussi assurée qu’un peu avant, lâcha son adresse. Elle ajouta, regardant déjà ailleurs. «C’est au deuxième. Troisième porte à gauche. ». Son corps abimé se leva d’une façon qu’elle ne voulut pas difficile et se dirigea vers la sortie du bar.
De l’air, une clope, du mouvement, peu importe. Ses membres, moins décidés qu’elles, manquèrent de ne l’abandonner à même le sol à plusieurs reprises. Elle n’eut pas plus de force qu’à son entrée pour répondre aux invitations des ivres habitués, et sortit du bar, se tuant pour ne pas craquer – mourir – avant, n’entendant ni ne voyant plus rien. L’épave qui, d’une façon miraculeuse, avait réussi à la tenir debout jusqu’ici s’échoua sur le trottoir sans qu’elle ne le remarque vraiment.
Son esprit avait lâché. Simplement. Doucement. Sans véritable choc. Seulement un semblant d’éclat, à un regard mal placé. Son esprit avait lâché, bien après son corps, et l’avait laissée là, sur le sol. Il n’y avait pas d’overdose, il n’y avait pas de coma éthylique, simplement un esprit qui dit stop. Ne plus ressentir, ne plus sentir, ne plus entendre, ne plus voir que des lumières sûrement factices. Taylor s’était finalement noyée, sur le bitume enragé de New-York, sans idée précise de l’endroit où elle se trouvait.

Cette jeune fille manquait cruellement de prudence. Non pas qu’il puisse faire peur, mais il arrive que l’être le plus insignifiant au monde soit celui capable de vous faire le plus grand mal. Il lui proposait sans ambages de lui donner son adresse pour qu’il la rejoigne chez elle, prétextant un strap et elle ne trouvait rien de mieux que de l’aguicher encore, sous-entendant l’excitation peu dissimulée. Il imagina à cet instant être un taré machiavélique, violeur de catins, égorgeur de filles de joie. Il ne faisait nulle doute que son sang giclerait sur les mûr s’il était ce type là. Elle avait de la chance, pour ce soir du moins, lui ne voulait que la straper, pour son bien. Le recul que prit la jeune femme le sortit de ses pensées glauques. Avait-il pensé à voix haute ? Ses idées s’étaient-elles lues dans ses yeux ou dans un sourire qu’il n’aurait pas contrôlé ? Que s’était-il passé pour que soudain elle sorte de son espace d’intimité et le laisse respirer ? Il ne la connaissait pas vraiment mais il pouvait déjà dire que ce comportement dénotait fortement avec le personnage. Il remarqua sa grimace, de douleur certainement et en tira quelque satisfaction. Si au moins cela pouvait la faire réfléchir. Elle n’avait pas l’air stupide, il suffirait d’un simple déclic.
Un silence s’installa, du moins, entre eux. Car le boucan dans la boite lui n’avait jamais cessé. Pendant un temps Gael l’avait cru, tant il en avait fait si bien abstraction, mais il était revenu, violant son esprit en même temps que la blonde en était sorti.
Il écrasa sa cigarette tandis qu’elle lui donnait son adresse, l’esprit embrouillé. Il l’observa sortir, chancelante, se demandant si elle arriverait jusqu’à destination. Elle devrait encore une fois avoir de la chance. La chance, dans cet état, c’est tout ce qu’il vous reste. Elle pourrait bien se faire embarquer par une âme mal attentionnée ou mourir de froid et de douleur dans une ruelle. Les deux simultanément. Gael s’en moquait, il ferait ce qu’il avait à faire et reprendrait sa petite vie tranquille.
Il se leva quelques minutes plus tard et quitta le club. Il l’aperçut encore affalée sur un trottoir, elle avait dû s’échouer là et ne plus bouger. Il hésita un court instant à l’emmener avec lui puis se ravisa. Il passa son chemin et se rendit à pieds jusqu’à l’hôpital. Il y croisa un collègue qui ne manqua pas de remarquer sa présence et de lui envoyer une petite remarque sur son incapacité à rester chez lui, à prendre du repos, à vivre loin du bloc. Il se contenta de sourire. Il savait tout cela et n’y trouvait rien d’anormal. Entrant dans un des locales à fourniture, il y prit de quoi straper la jeune femme et quitta l’hôpital, non sans jeter un œil au tableau pour voir quelles étaient les opérations en cours.
Il se rendit chez la jeune femme, une clope entre les lèvres par intermittence. Il resta devant l’immeuble le temps de la terminer puis monta au deuxième étage et frappa à la porte indiqué plus tôt par la jeune femme. Pas de réponse. Rentrerait-elle au moins ? Il s’assit contre le mur, prêt à attendre quelques minutes.